Réunion publique organisée par la CGT HSM, le 12 Mai 2023,
S'en est suivie la création du collectif.
Projet immobilier, quelle alternative?
Le site Esquirol des HSM ne peut être dissocié de l’Histoire de la psychiatrie et du traitement des maladies mentales au fil des siècles.
Dans la continuité des travaux de Philippe Pinel, Jean-Etienne Esquirol
pense l’édifice dans lequel nous nous situons pour permettre la mise en
place du “traitement moral”, qui postule qu’il reste une part
rationnelle et logique chez l’aliéné, à laquelle il s’agit de
s’adresser: L’architecture néo-classique
qui nous entoure en est un des instruments. Les lignes droites et
géométriques ont pour but de favoriser cet appel à la raison.
Un autre aspect du traitement passe par l’isolement des malades. Ce qu’on appelle alors l’asile - à bien entendre comme refuge - est conçu pour offrir, en dépit de l’enfermement, un point de vue constant vers le ciel et l’horizon, grâce à l’exposition au Sud des bâtiments et des patios et à la construction à flanc de colline.
Aujourd’hui,
malgré les demandes contradictoires de la société vis-à-vis de la
psychiatrie, qui doit se montrer à la fois sécuritaire et hospitalière,
les modalités tendent à évoluer, fort heureusement, vers plus de liberté
et de confort pour les usagers, et vers une prise en compte toujours
plus importante de leur point de vue et de leur perception des soins. La
dimension d’isolement du traitement moral tend à disparaître, et les
patios sont jugés par tous comme un élément de liberté et d’esthétique
qui permettent de préserver un accès libre à l’extérieur, de jour comme
de nuit. Les patients qui ont connu des sites plus “modernes” où ces
espaces n’existent pas sont les premiers à en témoigner.
Dans
l’établissement, il y a consensus autour de la vétusté des locaux jugés
par les patients, leurs familles et par les soignants, comme insalubres
et indignes. Mauvaise isolation, revêtements décrépits provoquent un
choc à quiconque passe les murs pour la première fois.
Mais
au-delà de l’état des murs, il y a aussi consensus autour de
l’importance de l’ambiance qui les imprègne, comme d’autres grands noms
de la psychiatrie ont pu le décrire (je pense, bien sûr, à Jean Oury). Mais avec le temps, asile et hospitalité sont devenus suspects... Il ne s’agirait pas de “s’installer”...
A
force de fermetures de lits, politiquement encouragées puis subies par
manque d’effectifs, on somme les services de réduire les entrées et de
presser les sorties. Les patients dits “chroniques” ne sont plus soignés
face au turnover des entrées, mais jugés “indésirables” parce qu’ils
occupent un lit. Il va sans dire que ce sont les plus vulnérables...
L’hôpital
a bel et bien perdu sa fonction de refuge et son hospitalité, il est
jugé maltraitant. Et pour cause! Se concentrent, cernées par les
procédures et les contraintes administratives toujours plus importantes,
du personnel infirmier et aide soignant de moins en moins nombreux, en
souffrance et en perte de sens, parmi des malades tout aussi en
souffrance, dont l’état de plus en plus aigu aurait nécessité
disponibilité, écoute et patience, devenues des denrées trop rares.
La violence augmente.
Et il faudrait pour cela justifier de l’inutilité de l’hôpital?
Le rendre responsable de maltraitance et d’infantilisation des sujets en soin?
Après
avoir fait perdre aux soignants et aux patients, à tour de protocoles
et de normes hygiénistes, toute capacité d’initiative et de souplesse,
c’est un injuste procès!
La période Covid a pourtant montré que la créativité et la volonté de s’impliquer de chacun était intacte.
Alors, le chantier qui s’annonce est à ce titre une magnifique promesse!
Celle de construire l’hôpital de demain!
Quelle
chance nous avons de pouvoir y participer. Nous avons le devoir d’être à
la hauteur de son héritage, de faire l’état des lieux de sa riche
évolution,au cœur de l'Histoire de notre pays, et de celle de la
discipline psychiatrique. Nous avons la chance d’être contemporains de
nombreux penseurs, de bénéficier par exemple des travaux de la Chaire de
Philosophie à l’Hôpital. Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio nous disent, dans leur Charte du Verstohlen, ce qui ne peut être volé: “Lorsque
l’on aménage un lieu, un paysage, lorsque l’on conçoit un service, un
protocole... Il faut s’occuper de ses habitants, de ses publics, de ses
patients et médecins, de ses espèces végétales et animales. Anciens,
actuels, futurs. Cela semble une évidence, c’est surtout une nécessité.”
Alors prenons nos responsabilités, et prenons soin!
Commençons par prendre soin de ce sol, sanctuarisé encore il y a peu, et on compte bien qu'il le reste: une Zone Boisée Classé.(1)
Sur le site de l’Hôpital National, le projet immobilier prévoit de construire un bâtiment neuf sur un sol qui abrite plusieurs dizaines d’arbres. En bonne santé ou malades, peu importe, ils constituent un écosystème, car nul n’ignore surtout à l’hôpital - que la maladie et la mort font partie de la vie, que la mort des arbres perpétue la vie du sol. Le remplacement de ces arbres presque centenaires par un substrat de 20 cm et quelques jeunes essences fragiles et gourmandes en eau ne viendront jamais compenser la perte que nous aurons infligée à cet écosystème.
Et détruire un écosystème, cela porte aujourd’hui un nom, celui d’écocides.
Qu’est-ce qui pourrait venir justifier ce sacrifice?
Comment, en 2023, pourrions nous prendre cette responsabilité?
Parce
que nous serions dans l’obligation de céder une partie du parc
immobilier à des fonds privés? Mais d’où provient cette obligation?
2023,
cela pourrait marquer un nouveau virage, où le bien commun serait placé
comme une valeur supplantant tous les autres intérêts.
L’intérêt de l’hôpital se situe-t-il dans la location d’un site classé aux monuments historiques à un prix d’appel de 0,86 centimes du mètre carré?
L’intérêt collectif trouve-t-il
son compte dans les activités lucratives d’universités de luxes ou de
pépinières d’entreprises qui profiteraient d’un site remarquable dont la
population se verrait privée.
Pourquoi construire un bâtiment neuf si les locaux existent?
Et
si des locaux sont vides, c’est l’opportunité de définir et
d’interroger l’intérêt général à commencer par celui du site. L’Histoire
des HSM est pourtant intimement liée à l’intérêt général: blessés de
guerre, ouvriers, et les malades les plus pauvres y sont accueillis
depuis le 17ème siècle!
Oui, le monde a changé... Il doit continuer à évoluer, et vite. Comme le disent C. Fleury et A. Fenoglio, “Les activités hyper-capitalistiques humaines effacent les traces du vivant, font disparaître des écosystèmes entiers (écocides).”
N’est-il
pas temps de changer de paradigme? Pourquoi poursuivre dans le réflexe
des hôpitaux parisiens, n’y a-t-il pas des alternatives éthiquement acceptables?
Car non, l’argent ne tombe pas du ciel! Ni la participation de l’ARS, ni un loyer dérisoire, ni un emprunt aux banques ne tombent du ciel.
En
revanche, les seuls intérêts que nous pouvons cerner seront ceux perçus
par les banques. Et ils se payeront par la suppression de plusieurs
centaines de postes...
Il semble que nous ne sachions pas faire
autrement dans la France de 2023, mais ne pourrions nous pas ouvrir
d’autre voix, comme Esquirol l’a fait en son temps en dessinant ce qui
est devenu ensuite le prototype des bâtiments de soins psychiatriques à
l’international.
Pensons-nous vraiment pouvoir améliorer la qualité
de l’accueil dans des murs neufs, sur un sol mort, en ayant réduit des
effectifs déjà exsangues?
Est-ce cela la psychiatrie hospitalière que nous souhaitons pour demain?
Alors
oui, il va falloir trouver de l’argent. Le virage climatique et la
disparition dramatique des biodiversités sont en marche. Voulons nous
faire partie de ceux qui continuent à faire comme si de rien était?
Nous avons le devoir d’essayer. A commencer par trouver d’autres moyens de financer l’avenir de notre service public.
Nous
ne devons pas seulement essayer, nous devons y arriver! Nous appuyer
sur des associations, aux besoins complémentaires des nôtres, du
médico-social par exemple?
Ne peut-on pas solliciter des fonds via des organismes ou des fondations impliquées dans la transition qui s’impose à nous?
Comme la holding “time for the planet”, des banques éthiques comme la Nef, ou la Banque des territoires?
Des modèle d’économie vertueuse où chaque centime est pensé comme devant être versé au bien commun.
Et si ce n’est pas possible, continuons à chercher, à penser. Les vieux modèles, qui ne font qu’alimenter l’absurdité de notre modèle économique, doivent laisser place aux initiatives du futur, celles du cercle vertueux.
Il est difficile de
penser que les choses peuvent changer, avant que quelques-uns se mettent
à y croire et prouvent le contraire. Et je vois que nous sommes
nombreux aujourd’hui, complémentaires.
Rappelons nous de ce que les crises sont capables de solliciter en terme de créativité et de réflexions collective.
Alors
donnons nous le temps. Le temps de penser, et construire, avec toutes
les parties prenantes, à commencer par les patients et leurs familles,
l’hôpital de demain.
Un hôpital où Asile et National reprendraient leurs lettres de noblesse.
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1 “Le sol est le lieu de vie d’une extraordinaire quantité d’espèces
animales, végétales, et de micro-organismes. Tous y puisent les
nutriments et la matière organique essentiels à leur survie, rendant en
échange de nombreux services écologiques. Plus encore que dans les
autres écosystèmes, la biodiversité s’est étroitement liée à son
environnement.” (conservation-nature.fr).
https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/objectif/legiferer-sur- le-crime-decocide/
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