Texte paru dans la revue L'information psychiatrique, sept 2025
Si un chantier naval fabrique des navires qui vont fendre les flots, la psychiatrie est un autre
monde qui est censé produire des soignants et rétablir des patients qui deviendront plus tard des
usagers en quête de rétablissement, un mot bien conventionnel dont le sens ne doit pas nous
méprendre car il est loin d’être une sorte de « graal » figé dans un futur immédiat. Je suis peut-être
arrivé au midi de ma vie mais il me revient ce soir cette chansonnette d’enfance « il était un petit
navire (x2) … qui n’avait jamais navigué … » … Et Dieu seul sait si la psychiatrie est une discipline
exigeante, longue, coûteuse et répulsive pour toutes celles et ceux qui ne s’y sont pas frottés de près.
En somme, elle se rapproche d’une thérapie au long cours pour patients chronicisés. Tous ces petits
navires qui vont devoir bourlinguer de par le monde découvriront les poisons et délices des
ajustements de traitement particulièrement exigeants à maintenir dans la durée et pour éprouver
leurs coques, gouvernails et gréements, ils devront parfois être à quai pour effectuer les radoubs. En
Ile-de-France, ce port d’attache possible s’appelle l’hôpital Esquirol, désormais coiffé d’une
terminologie administrative supra sectorielle, les Hôpitaux de Paris-Est-Val-de-Marne (HPEVM). Et
dans ma souffrance réduite à l’épreuve d’un strict individu confronté à son rapport au monde, j’ai eu
effectivement la chance de connaitre les bâtiments coiffés dans leur écrin patrimonial (classés aux
monuments historiques), arbustif (des arbres centenaires qu’il convient de préserver) et
thérapeutique (des espaces ambulatoires, présupposé nécessaire à toute sortie de l’hôpital). Ce
triptyque trouverait sa correspondance dans une devise : respirer, se déplacer et guérir vaille que
vaille car la vie est tout de même une expérience exceptionnelle qu’il convient de ménager le plus
loin possible. Aujourd’hui, ces joyeux équilibres ternaires sont gravement mis à mal par un projet
immobilier qui vise à « optimiser les flux » et à accroître au m2 dans de nouveaux bâtiments le
nombre de patients disponibles réunis sur un seul site. Les personnels soignants ne font pas recette
en termes d’effectifs car ils sont trop peu nombreux et le projet de la direction n’est pas
particulièrement séduisant car il risque de saboter la végétation et les arbres au détriment d’un
cadre paysager qui était pourtant bien appréciable. Avec du béton, on peut tout faire, même remplir
un cahier des charges mais ce constat est tout de même particulièrement blessant intérieurement
car avec l’onction des « grands travaux », on retrouve un nouveau triptyque beaucoup moins
enchanteur : « produire plus pour parquer plus de patients et rentabiliser l’équation immobilière ».
Mais d’autres solutions existent et il appartient aux décideurs de les trouver autrement que par des
« oukases » quelque peu brutaux. C’est à ce prix que l’on parviendra à maintenir le lien entre la
respiration, la déambulation et la stabilisation des humeurs.
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